Les deux derniers siècles représentent l'histoire de l'industrie et de la production en série. Ce qui a débuté avec l'introduction des métiers actionnés à la vapeur dans les usines de textiles situées dans le nord de l'Angleterre est devenu l'innovation déterminante de notre civilisation - la production industrielle de masse.

Au cours des cinq ou six dernières décennies, les usines ont vécu des transformations majeures. Nous sommes passés de la suie, des souillures et du bruit constant de la Révolution industrielle à la technologie de pointe, aux robots industriels et aux chaînes de production informatisées. Les installations sont devenues plus propres, plus sécuritaires et plus efficaces. Pourtant, les leçons d'histoire ne changent pas - quelle que soit la technologie employée, ce sont les travailleurs qui comptent et non la machinerie. La nature du travail industriel a cependant évolué. Les anciennes distinctions entre technologie de pointe et technologie de base n'existent plus. La plupart des usines - peu importe ce qu'elles produisent - sont informatisées et extrêmement automatisées; d'où le besoin de techniciens et de technologues qualifiés.

Bien que l'élément humain demeure indispensable au déroulement du processus, les usines, les tours industriels, les machines à fraiser et les presses à forger modernes produisent des marchandises en série à une vitesse et avec une précision impossibles à atteindre pour les mains même les plus agiles et les plus fermes.

Mais ça ne s'arrête pas là. Au cours des années 1980, le dessin et la fabrication assistés par ordinateur (DAO/FAO) sont devenus des technologies standard de l'industrie de la fabrication, le processus de fabrication étant informatisé de la conception à l'emballage. Les DAO/FAO ont eu un effet particulièrement important sur les industries aérospatiale et automobile; des modèles virtuels compliqués de voitures et d'avions y sont entièrement conçus par ordinateur puis transformés en appareils réels.

Le jet-long courrier commercial Global Express de Bombardier Aéro, par exemple, n'a existé nulle part ailleurs que dans les circuits de mémoire d'un super ordinateur jusqu'à ce que la chaîne de montage de l'entreprise montréalaise ne s'ébranle, en 1998, pour produire l'appareil de série. Le prototype du jet était virtuel - il a été entièrement conçu et testé de façon numérique.

Cet avion a d'abord existé sous la forme d'un prototype numérique; chaque composante - du saumon d'aile aux boulons qui retiennent les sièges des passagers - a été conçue avec précision et à la quasi-perfection avant que le processus réel de fabrication ne démarre. Ces données ont été transmises aux usines informatisées de Bombardier où les pièces ont été fabriquées, puis assemblées. Tous ces éléments s'ajustent parfaitement les uns aux autres, exactement de la manière dont ils ont été conçus.

La technologie numérique a directement engendré le nouveau et intéressant principe de la «production spécialisée», un secteur dans lequel l'industrie canadienne est chef de file. Le processus visant à produire un prototype depuis sa conception sur papier s'étendait sur des semaines, voire des mois, et supposait le travail d'une demi-douzaine de personnes hautement qualifiées. Les entreprises canadiennes peuvent maintenant utiliser des dessins industriels conçus par ordinateur et les transformer en prototypes et en modèles industriels. Certaines productions limitées peuvent même être effectuées en 24 heures ou moins. Le secret? Des techniciens et des technologues spécialisés. Ce sont eux qui assurent la compétitivité industrielle constante du Canada et qui la maintiendront au XXIe siècle.

Et pourtant, le travail d'assemblage et de rivetage des pièces a lui-même été mécanisé, informatisé et robotisé. Observez les chaînes des usines modernes à la plus fine pointe de la technologie et vous verrez des rangées de robots répéter inlassablement les tâches industrielles les plus banales.

Cela ne signifie pas que le travailleur industriel humain soit devenu dépassé, au contraire. À l'aube du XXIe siècle, la technologie industrielle est beaucoup plus complexe que les machines à l'origine de la révolution industrielle du XIXe siècle. Les techniciens et technologues d'aujourd'hui ont besoin de connaissances et d'une expérience beaucoup plus étendues pour utiliser les outils de fabrication dont sont dotées les usines modernes.

De nos jours, les travailleurs industriels peuvent être des techniciens, des technologues, des opérateurs sur ordinateur ou des machinistes. Les appareils doivent être étalonnés, les machines de fabrication assistée par ordinateur doivent être programmées et entretenues, et les réseaux qui transmettent les données aux infatigables chaînes de production robotisées doivent fonctionner sans cesse. Plus important encore, il faut l'ingéniosité et l'intelligence humaines pour transmettre en premier lieu ces données et s'assurer que les tâches sont bien exécutées. La fabrication assistée par ordinateur serait impossible sans l'intervention humaine en matière de gestion, de planification et de contrôle de la qualité.

Selon certaines idées préconçues, le Canada devait passer d'une économie de fabrication à une économie reposant sur les services et l'information; par conséquent, les postes associés à la fabrication allaient migrer vers des climats plus chauds où la vie est moins chère, tels que le Mexique ou l'Asie. Et bien, ça ne s'est pas produit.

Entre 1992 et 1997, l'industrie canadienne de la fabrication a démarré. Les industries du matériel de transport - y compris les industries aérospatiale et automobile - ont vu leur croissance augmenter de 44 % au cours de cette période et comptent pour près de 20 milliards de dollars de notre produit national brut. L'industrie de la machinerie a eu une croissance encore plus fulgurante, puisqu'elle a augmenté de 74 % pendant cette même période.

La demande de travailleurs industriels qualifiés capables d'utiliser et d'entretenir les appareils, ordinateurs et robots qui encombrent les usines est de plus en plus forte. L'industrie de la fabrication s'est bien remise de la dure conjoncture économique des années 1980, et le taux d'embauche n'a cessé d'augmenter depuis les quelques dernières années. Après deux siècles de production en série, les révolutions industrielle et technologique ont transformé les usines de sombres et sales qu'elles étaient en chaînes de montage automatisées, propres et efficaces. Une constante demeure pourtant - il est impossible de séparer le travailleur qualifié de son travail ou de ses outils de production.