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Les élèves du secondaire vivent aujourd'hui une conjoncture économique semblable à celle qu'ont connue leurs grands-parents. Ces deux générations ont passé le plus clair de leurs années d'études sous la menace d'une récession et cette réalité économique difficile a façonné leur mode de pensée. Plus réalistes et dotés d'un esprit plus pratique que leurs parents baby-boomers, ces jeunes privilégient la sécurité plutôt que l'idéalisme lorsqu'ils cherchent un emploi.

Ce phénomène est très compréhensible lorsqu'on considère le taux de chômage officiel au Canada. Selon Statistique Canada, les jeunes de 15 à 24 ans ont accusé un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne nationale pendant la majeure partie de la dernière décennie : 17 % par rapport à 8 %. «Il y a actuellement 600 000 diplômés au chômage ou sous-employés, car ils n'arrivent pas à trouver de poste à temps plein dans leur domaine», rapporte Career Edge, un organisme sans but lucratif situé à Toronto qui organise des stages de six à douze mois en milieu de travail pour les diplômés canadiens.

Pour percer le marché de la nouvelle économie, qui exige de plus en plus de compétences techniques, il est essentiel de détenir un diplôme de formation terminal ou de niveau postsecondaire. Ainsi, entre 1990 et 1996, le nombre de postes ouverts aux personnes non diplômées a chuté de 910 000, tandis que les emplois destinés aux détenteurs de diplômes de niveau postsecondaire ont augmenté de plus de 1,4 million.

Un grand nombre de ces emplois reposent sur la technologie. «Les diplômés des niveaux universitaire et collégial en sciences et en administration sont plus recherchés sur le marché que ceux en sciences sociales, en sciences humaines ou en arts», confirme le Conference Board du Canada, un centre d'études et de recherches situé à Ottawa. «C'est un véritable problème; nous n'arrivons pas à attirer les étudiants dans les domaines où ils pourraient développer les compétences les plus demandées sur le marché.»

On prévoit ainsi que le besoin de techniciens et de technologues au Canada dépassera la vitesse de formation de diplômés en technologie. Selon un rapport intitulé Savoir exploiter notre potential : techniciens et technologues de demain et publié en 1993 par le Centre canadien du marché du travail et de la productivité, «le Canada pourrait être confronté à une pénurie de plus de 17 600 techniciens et technologues d'ici 2005.»

Les instituts de technologie et les collèges communautaires, longtemps considérés comme les parents pauvres des universités, jouent donc un nouveau rôle au Canada et travaillent de concert avec les entreprises pour préparer les élèves à percer le marché du travail de la nouvelle économie (voir l'encadré «D'une époque à l'autre», sur les collèges).

Les collèges ont réussi à se transformer en institutions scolaires hautement spécialisées, capables de livrer ce que de nombreux élèves cherchent aujourd'hui : des emplois rémunérateurs. Ceci pourrait expliquer pourquoi les inscriptions dans les 250 collèges communautaires du Canada -- de British Columbia Institute of Technology à Burnaby, au Collège of the north Atlantic à Terre-Neuve -- sont passées de 325 000 en 1992 à 450 000 en 1997.

Les frais de scolarité pourraient constituer une autre raison de cette hausse : l'obtention d'un diplôme universitaire coûte près de 3 300 $ par année, près de deux fois plus cher qu'un diplôme de niveau collégial qui coûte, en moyenne, de 1 500 à 2 200 $ par année. Fait beaucoup plus important, le taux de placement des diplômés en sciences et technologies appliquées de niveau collégial est supérieur à 90 %. Selon Développement des ressources humaines Canada, à Ottawa, la conclusion à tirer est on ne peut plus claire : «La demande pour des diplômés en techniques du génie formés dans les collèges communautaires est actuellement plus forte. Nous prévoyons que d'ici 2001 les nouvelles ouvertures dans ce secteur dépasseront de près de 3 % le nombre de chercheurs d'emplois, et que les conditions du marché seront particulièrement favorables pour les diplômés en technique du génie civil.» Les autres secteurs prometteurs comprennent les technologies du génie électrique, du génie électronique et du génie chimique.

On note actuellement un besoin accru de techniciens en télécommunications capables d'entretenir le matériel de pointe utilisé dans la production de multiplexeurs -- des dispositifs fixés aux satellites de communication permettant de brouiller et de débrouiller des signaux -- et de technologues en génie électronique qui testent les circuits électroniques des émetteurs de radiodiffusion. Les technologues des pâtes et papiers familiarisés avec le nec plus ultra des systèmes de commande répartis, capables de surveiller une mince pellicule de papier défilant à plus de 100 kilomètres à l'heure, sont également très demandés. Les diplômés embauchés dans ces domaines, et ailleurs, peuvent toucher un salaire de départ de 35 000 à 60 000 $ par année (voir l'encadré «Les diplômés des technologies du génie électrique mènent le bal», sur le sondage relatif aux salaires).

Bill Allen de Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology (SIAST) à Moose Jaw, constate d'emblée combien la demande de diplômés de niveau collégial est élevée. M. Allen dirige trois programmes techniques : les technologies du génie civil, des ressources hydrauliques et de l'environnement. «Il y a eu 105 offres en éducation coopérative pour les 50 élèves inscrits cette année, explique-t-il. L'an dernier, tous nos diplômés en technologies du génie civil et des ressources hydrauliques ont trouvé du travail», ce qui a fait grimper le taux de placement du collège à 98 %.

«Nous ne pouvons garantir ce taux d'embauche chaque année, et ceci vaut pour toutes les disciplines, fait remarquer Bill Allen. Cependant, dans certains domaines, comme celui de la technologie du génie civil, le marché de l'emploi est tel que quiconque veut y travailler pourra trouver un poste.»

Alan Wilkes, professeur de chimie (pâtes et papiers) à BCIT, en Colombie-Britannique, confirme les dires de nombreux autres administrateurs : «Tous les élèves qui le veulent peuvent trouver un emploi dans les six mois suivant l'obtention de leur diplôme.» Il souligne que les diplômés décrochent fréquemment des emplois dans les laboratoires d'essai, dans les usines de recyclage et dans les papeteries. «Bon nombre d'employés de la plupart des papeteries de la Colombie-Britannique sortent de notre institution», ajoute-t-il.

Bill Allen attribue l'effervescence de la demande de diplômés en technologie à deux phénomènes : la croissance incessante du secteur des technologies de pointe, où l'on recherche désespérément de la main-d'œuvre, et le nombre important de départs à la retraite prévu au cours des dix prochaines années, puisque les baby-boomers commencent à quitter le marché du travail.

Selon lui, près du quart de ses élèves ont suivi des cours de niveau universitaire. «J'ai actuellement les dossiers de deux élèves qui aimeraient s'inscrire à notre institution : l'un termine une maîtrise en géographie et demande un transfert de crédits; l'autre finit un diplôme de premier cycle, également en géographie.»

Les résultats de Bill Allen confirment ce qui semble se produire d'un bout à l'autre du pays. Les collèges situés dans les grands centres urbains que sont Montréal, Toronto et Vancouver estiment que près de 30 % de leurs élèves détiennent déjà un diplôme de niveau universitaire -- une tendance à la hausse chez les étudiants à l'esprit pratique désireux de s'inscrire dans les collèges pour acquérir et parfaire les compétences recherchées par les employeurs. La moyenne d'âge des élèves inscrits à plein temps dans les collèges est par conséquent de 26 ans.

Les différences entre les collèges et les universités commencent à s'estomper. «La distinction entre des études de niveau universitaire et de niveau collégial est beaucoup moins prononcée aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a dix ans, rapporte l'Association des universités et collèges du Canada (AUCC), établie à Ottawa. De nombreuses universités canadiennes participent à des projets conjoints avec des collèges voisins, ce qui permet aux étudiants d'allier leurs études à un nombre plus important d'occasions d'apprentissage appliqué que l'on trouve généralement au sein des collèges communautaires.»

Ces institutions hybrides sont appelées des collèges universitaires. Les partenariats parmi les plus intéressants ont été entrepris dans l'Ouest -- en particulier en Colombie-Britannique, mais aussi en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba -- et au collège universitaire de Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. En Colombie-Britannique, par exemple, les élèves peuvent commencer leurs études au collège et transférer ensuite leurs crédits en vue d'un diplôme universitaire. Au Québec, cette tendance est aussi à la hausse et certains collèges et universités offrent maintenant ce qu'ils appellent un DEC-bac, un diplôme hybride alliant les connaissances techniques du collégial à celles, plus théoriques, du niveau universitaire. Les possibilités sont axées sur les diplômés de niveau collégial désireux de poursuivre des études universitaires. Ces derniers peuvent ainsi se voir créditer deux années de cours dans le cadre d'un programme de premier cycle d'une durée de quatre ans. Un élève ayant réussi un programme de trois ans en technologie des pâtes et papiers à BCIT en Colombie-Britannique peut obtenir une équivalence de cours pour le programme de premier cycle en génie chimique de l'Université de la Colombie-Britannique, par exemple, et entrer directement en troisième année.

De nombreux employeurs confirment que les diplômés de niveau collégial sont plus âgés que la moyenne des diplômés de niveau universitaire. «Certains de ceux que nous embauchons sont nettement plus mûrs et comptent davantage d'années d'expérience de travail», dit Martha McIver, directrice des ressources humaines (région du centre) chez Hewlett-Packard Canada Ltd. à Mississauga, en Ontario, un fabricant réputé pour ses ordinateurs et ses imprimantes ainsi que pour ses produits scientifiques et médicaux.

Hewlett-Packard compte près de 1 700 employés au Canada. En moyenne, 21 % de ses employés diplômés sont issus du niveau collégial. Cela limite-t-il leurs possibilités d'avancement? «Je ne pense pas qu'un diplômé de niveau collégial ait des options limitées», commente Mme McIver. En effet, celui-ci peut commencer au bas de l'échelle, puis progresser jusqu'au poste de directeur du service technique à la clientèle.

Hewlett-Packard participe à de nombreux programmes coopératifs en association avec des collèges ontariens, tels que les collèges Seneca, Sheridan, Humber et Mohawk, mais l'entreprise étend aussi ses tentacules partout ailleurs. «Je crois que nous embauchons dans tous les collèges du Canada.»

Martha McIver distingue cependant les programmes de trois ans des collèges publics des programmes d'un an offerts dans les collèges privés, qui ne mettent souvent l'accent que sur les compétences techniques. «Les collèges préparent très bien les élèves et leur prodiguent de bonnes techniques de communication écrite et orale, ce que ne font pas toujours les collèges privés. Comme nous traitons avec des clients, il est important dans notre industrie de maîtriser les techniques commerciales.»

Plusieurs employeurs ont remarqué que les diplômés de niveau collégial sortent de l'école aussi bien formés que leurs pairs universitaires. «Lorsque nous recherchons des personnes capables de s'intégrer immédiatement au secteur technique de notre entreprise, les diplômés de niveau collégial font bonne figure auprès des diplômés de niveau universitaire», affirme Warren Eberlin, directeur des ressources humaines de la société Lucent Technologies Canada, située à Toronto, un géant américain des télécommunications comptant 450 employés au Canada. L'année dernière, cette entreprise a embauché six diplômés de niveau collégial.

Toutefois, le rôle des diplômés de niveau collégial diffère de celui des diplômés universitaires, souligne-t-il. «Les diplômés de niveau collégial auront tendance à travailler à l'implantation du matériel informatique plutôt qu'à la conception et au développement de logiciels.

«Ils devraient également savoir que le secteur de la technologie change constamment et qu'il existe pour eux un grand nombre d'occasions de développer leur carrière au-delà de la formation collégiale qu'ils ont reçue. Ils risquent d'être cantonnés à un poste en particulier au début, mais ils peuvent se perfectionner au cours des années en acquérant de l'expérience et en menant à bien divers projets», souligne M. Eberlin.

Il ne fait aucun doute que les programmes collégiaux ont atteint une certaine maturité et obtiennent maintenant leur juste part de reconnaissance. «Les programmes de génie et de sciences appliquées ont longtemps été sous-estimés, mais ils offrent un grand potentiel professionnel, affirme Bill Allen de SIAST. Les techniciens et les technologues diplômés qui souhaitent poursuivre des études disposent maintenant de nombreuses possibilités», ajoute-t-il. Même si les diplômés de niveau collégial n'entrent jamais à l'université -- et la plupart n'y vont pas --, ils n'ont plus à se soucier de constituer un second choix!

Les collèges canadiens ont beaucoup changé depuis leur fondation dans les années 1960. De nos jours, ils offrent une variété de programmes adaptés aux demandes du marché du travail, des classes réduites, la possibilité de suivre des cours à distance et un ratio plus élevé de laboratoires comparativement aux salles de cours. Selon l'Association des universités et collèges du Canada, un organisme représentant 175 collèges canadiens, ils offrent en outre un mode d'enseignement plus interactif et leurs critères d'admission sont plus ouverts. Bien que les collèges soient de tailles variées, ils comptent en moyenne 5 000 éléves à temps plein.

Les collèges communautaires sont des établissements de niveau postsecondaire qui ne décernent pas de diplômes, mais qui offrent des cours techniques ou professionnels ou des cours en vue d'une équivalence universitaire. Au Québec, ces institutions portent le nom de cégeps (collèges d'enseignement général et professionnel). Contrairement aux diplômés des collèges communautaires cependant, les diplômés des cégeps obtiennent un DEC (diplôme d'études collégiales) lorsqu'ils ont terminé leurs programmes.

Ces institutions provinciales devaient à l'origine «refléter les différences historiques, socioculturelles, géographiques, économiques et pédagogiques qui caractérisent les régions du Canada», écrit John Dennison dans The Canadian Journal of Higher Education. Ces collèges ont adopté des politiques trés comparables à celles d'une université ouverte, y compris un programme polyvalent, et ont privilégié l'admission ouverte. C'est peut-être pour ces raisons que les collèges ont eu une mauvaise réputation, de ne pas être, entre autres, aussi élitistes que leurs cousines, les universités. Les 250 collèges canadiens reflétent aujourd'hui l'époque à laquelle nous vivons, où les entreprises, les établissements scolaires, le gouvernement et les communautés prennent part aux décisions visant à établir les exigences et les politiques relatives à l'éducation.

Voici quelques exemples de ce que les diplômés des programmes techniques peuvent gagner par année dans diverses provinces :

Alberta : En 1998, les nouveaux diplômés gagnaient 24 000 $ en qualité de technologues en architecture et 50 000 $ à titre d'ingénieurs spécialisés en force motrice. Après dix ans, les salaires peuvent passer à 60 000 $ pour un technologue en appareillage et à 100 000 $ pour le personnel cadre travaillant dans des secteurs tels que l'environnement, le pétrole et la fabrication.

Colombie-Britannique : Les nouveaux diplômés gagnent près de 30 000 $ et, après cinq ans d'expérience, environ 42 000 $. En 1997, les salaires variaient de 36 000 $ pour des diplômés en bioscience à 58 000 $ pour des technologues en électricité.

Manitoba : En 1996, les technologues diplômés gagnaient en moyenne 30 000 $, puis 38 000 $ après cinq ans.

Ontario : Les technologues spécialisés dans les minerais et la métallurgie étaient les grands vainqueurs, puisqu'ils gagnaient près de 55 000 $ en 1998, contre 40 000 $ pour les technologues en levés.

Québec : Les technologues spécialisés en foresterie remportaient la palme puisqu'au début de 1997, ils gagnaient en moyenne près de 53 000 $, suivis par les technologues des domaines minier et de l'assainissement de l'eau avec des salaires moyens respectifs de 52 000 $ et de 51 000 $.

Saskatchewan : Les diplômés en techniques du génie électrique qui travaillent dans le secteur des ressources primaires, telles que l'énergie ou les mines, viennent en tête de liste, puisqu'ils gagnaient près de 53 000 $ en 1997. Les diplômés dans les sciences de l'eau gagnaient, la même année, environ 36 000 $, et les diplômés en génie civil, près de 45 000 $.